Doctrine
Tradition : sens et facettes
Le pape François a comparé la tradition aux racines d'une plante. Elles continuent de croître au fil du temps, de même que la tradition s'enrichit de nouvelles compréhensions.
Il y a aussi des radicelles qui meurent sans remettre en cause la vigueur et la pérennité de l'arbre : la Tradition fait-elle de même ? N'a-t-elle pas tendance à transformer une interprétation d'un moment en un carcan pour le futur ?
Elle peut aussi être comparée à une ancre flottante qui ralentit l'évolution sans l'empêcher et limite les changements de direction important. Le pire, c'est lorsqu'elle arrive à se comporter comme une ancre de fond qui immobilise complètement … jusqu'à une tempête qui arrache tout !
La tradition peut aussi être considérée comme une force qui puise son énergie (un peu analogue à l'énergie sombre qui dilate l'univers) dans ce que le passé a accumulé pour nous projeter dans l'avenir afin d'y découvrir des nouveautés immanentes ou transcendantes.
La tradition peut aussi être vue comme un tremplin qui permet, en tirant des leçons du passé, de se projeter plus loin dans le futur.
Finalement, je souhaite que la tradition se comporte comme un pilote automatique qui permet, sans ralentir la progression du bateau, de garder le cap par une adaptation de l'orientation du gouvernail en fonction des perturbations du moment.
On n'a jamais fini de découvrir Dieu, ayons bien conscience que notre intelligence peut se tromper … même lorsqu'elle croit écouter le Paraclet : notre audition n'est pas toujours bien fiable. Evitons d'asséner des certitudes.
Erreurs, maladresses, … ?
La tradition, qu'elle soit devenue dogme ou non, peut être dans l'erreur. J'en perçois plusieurs grandes causes :
- Des paradigmes de l'époque où une affirmation a été élaborée et qui, ultérieurement, ont été prouvés erronés.
- Cela est le cas pour la description de la création de l'univers dans la Genèse. Les 7 jours sont devenus 13,8 milliards d'années.
- De même lorsque St-Paul énonce que la mort est arrivée par la faute du premier homme (suffisamment conscient pour être capable de pécher gravement ?) qui date de quelques millions d'années alors que les premières cellules périssables ont presque trois milliards d'années.
- Des incohérences entre des assertions qui n'ont pas été perçues lors de leur formulation.
- Marie, préservée du péché originel, ne connaitrait donc pas la concupiscence … mais alors quel est son mérite si elle ne connait pas la tentation ?
- Tous les hommes sont enfants de Dieu, mais le catéchisme dit que, par le baptême, on devient enfant de Dieu : on le devient deux fois ?
- Jésus pleinement homme, mais, apporté par le père biologique, sans le complément de gènes avec l'indispensable chromosome Y donné uniquement par un mâle, ou alors … par "l'ombre" qui devient ce père biologique …
- Certaines formulations qui semblent maladroites,
- On peut citer "Dieu est Amour" car Il est une personne et non une sorte de sentiment ; par contre de Dieu émane de l'Amour.
- La "volonté" de Dieu est évoquée dans le Pater, mais qui pourrait y résister et que deviendrait notre liberté à laquelle Il tient. Il serait plus juste de citer son "désir".
- Que reste-t-il à plaider au jugement particulier si tout a déjà été pardonné par une confession ou par le sacrement des malades ?
- Des expressions sont très ambigües.
- Lorsque le mot "Esprit" est cité, il est bien rare que l'on sache lequel : évoque-t-on celui de la Trinité, ou de l'une des trois Personnes, ou de Jésus homme.
C'est la même chose avec le mot grâce que l'on rencontre souvent sans que, souvent, soit précisé de quoi il s'agit. - Il est écrit que ses "frères" (avec leurs prénoms) réclament Jésus, mais l'église dit qu'il faut comprendre que ce mot inclus les cousins, mais alors pourquoi ne pas traduire le mot grec par "parentèle" ?
- Lorsque le mot "Esprit" est cité, il est bien rare que l'on sache lequel : évoque-t-on celui de la Trinité, ou de l'une des trois Personnes, ou de Jésus homme.
- Des ajouts qui sont à peine plausibles …
- La certitude qu'un concile, voire un pape, peuvent ne pas se tromper.
- Par une typologie inversée (une inter-correspondance piochée dans l'AT et introduite dans la réalité du NT) n'est-ce-pas ainsi que St-Matthieu attribue à Marie le verset qui décrit "une vierge qui enfante" ou du rêve de Joseph lui prescrivant de revenir d'Egypte selon l'oracle "D'Egypte, j'ai appelé mon fils".
- Un manque d'anticipation des conséquences de ce que l'on affirme.
- Marie est montée avec son corps et son âme, mais où sont-ils allés, que devient la matière de son corps ?
- Pourquoi le Kyrie après le confiteor : c'est redondant sans compter que supplier un père qui déborde d'amour !
Dogmes d'aujourd'hui
Bien des incompréhensions proviennent de l'emploi des mots d'un langage "traditionnel" qui n'ont plus le même sens aujourd'hui : comment peut-on espérer être compris si on n'utilise pas la sémantique de son interlocuteur ?
"Sauvé" voudrait dire "divinisable" m'a-t-on expliqué : voilà qui est évident !
Cela conduit à clarifier ce que je souhaiterais de la théologie en tant que discipline :
- Interpréter les textes anciens en fonction de la culture, des connaissances et des croyances de l'époque de leur rédaction. (cela se pratique)
- Ne pas esquiver le flou de l'hébreu ou de l'araméen en en donnant une interprétation certaine. (ce n'est pas toujours évident)
- Etre conscient qu'une phrase prononcée en araméen, puis transmise oralement en hébreux pendant un demi-siècle avant son écriture en grec, suivi d'une traduction en latin et finalement exprimée en français, peut connaître de sérieuses altérations. (une expression laissant une place au "probablement" n'est pas fréquente … )
- Il faut ensuite passer au filtre des connaissances d'aujourd'hui pour :
- en retirer les inexactitudes scientifiques (la Genèse, le premier homme pécheur, … ) ou
- d'une prise en compte de la notion d'indécidables (nombre d'affirmations de la doctrine sont indémontrables et irréfutables et donc des convictions, non des certitudes) ou
- de notre compréhension actuelle de Dieu : Il est aimant et non fouettard.
- La cohérence d'ensemble doit ensuite être passée au crible de la logique. (le rôle de l'Esprit lors de l'incarnation selon Matthieu ou Jean … )
- Pour terminer, il faut exprimer cette vérité épurée (mais pas déformée) dans le langage de son interlocuteur qui n'est plus un citoyen du IV ou XVII siècle.
Il y a du pain sur la planche …
Théologie : une science ?
Lorsqu'une science ne peut plus être critiquée … elle n'est plus une science, mais un dogme plus ou moins figé.
La théologie est une discipline (forcément très hypothétique) qui peut et doit toujours progresser et c'est en la poussant dans ses retranchements que peuvent surgir de nouveaux bourgeons. Je peux critiquer la discipline sans remettre en cause son objet : Dieu lui-même !
De par cet objet même, elle commence là où s'arrêtent toutes les autres (philosophie, sociologie, psychologie, physique, archéologie, … ) : elle doit en tenir compte et s'adapter lorsque son territoire antérieur est rogné par le développement des connaissances (ex : la Genèse est devenue une allégorie que St-Paul prenait pour une réalité et en tirait des conséquences qui, à l'époque, paraissaient logiques).
L'humilité n'est pas la servilité et elle est requise dans toutes les sciences dont chacune, aujourd'hui, est le fruit du travail de millions de chercheurs au fil des ans : la théologie n'y déroge pas.
Incertitude
Pourquoi les églises veulent-elles apporter des solutions péremptoires à des questions dont la réponse est légitimement multiple : auraient-elles peur de la liberté humaine qui impose de ne pas toujours être dans la certitude ?
On est souvent dans le monde de l'incertain : la philosophie permet d'affiner les questions, mais n'apporte pas de réponse. La théologie propose des solutions (qui ne doivent pas être en contradiction avec les raisons tirées de la science et de la philosophie) qui doivent être plausibles, mais dont on ne peut démontrer ni l'exactitude, ni l'erreur.
Le doute scientifique comprend bien que la vérité d'une affirmation découle de celle de ses fondements (postulats, axiomes, paradigmes, … ). Son inconvénient est qu'il nous place dans un état d'incertitudes permanentes, mais son intérêt est de nous laisser ouverts, par le questionnement, au progrès de nouvelles bases plus exactes ou de raisonnements plus subtils ou de formulations plus justes.
D'une certaine manière, il était plus confortable de croire lorsqu'on pensait que les évangiles n'énonçaient que la vérité, en particulier historique. On avait moins à affronter l'incertitude : quelle est, en réalité, la part du symbolique ou de l'arrangé pour renforcer ce que le rédacteur des évangiles veut faire comprendre ?
Le doute sur la réalité objective de ce qui est écrit (conception virginale de la vierge ou péché originel cause de la mort avec pour conséquence l'Immaculée Conception) n'entrave pas la foi qui cherche à apporter des réponses à des questions … sans réponse certaines qui ne devraient pas se figer dans un dogme réputé inaltérable. Pourquoi ne pas exprimer simplement une préférence non contraignante ?
Le dogme dans ce cas devient un carcan particulièrement superflu lorsqu'il ne s'agit pas de l'essentiel de la foi.
Imposer une réponse est-il une atteinte à la liberté individuelle de conscience ? J'ai l'impression que des théologiens supportent plus facilement le flou ou l'imprécis que l'incertitude …